Donation de son vivant : transmettre sans se priver

Image Donation de son vivant : transmettre sans se priver

Donner à ses enfants pour les aider à s’installer dans la vie, et réduire le coût des droits de succession qu’ils auront à acquitter un jour, est une préoccupation constante et légitime des parents.


L’espérance de vie augmente et si c’est une très bonne chose, cela s’accompagne de questions et d’inquiétudes sur l’avenir : ma retraite me permettra-t-elle de faire face à mes besoins, mon patrimoine est-il suffisant pour combler un manque éventuel ?


Entre l’envie de donner et la peur de manquer, il n’est pas toujours facile de trancher.


La donation avec réserve d’usufruit


Il existe des mécanismes juridiques qui permettent de transmettre sans se démunir. Tel est le cas, notamment, de la donation avec réserve d’usufruit.


Elle permet de répondre au double objectif de transmission de son patrimoine tout en en conservant la jouissance ou les revenus. Ainsi le donateur transmettra de façon définitive la nue-propriété du ou des biens choisis, mais il s’en réservera l’usufruit sa vie durant. Dans cette situation, on dit que la propriété est « démembrée ».


En sa qualité d’usufruitier, le donateur continuera à jouir du bien, c’est-à-dire à pouvoir l’habiter s’il s’agit d’un bien immobilier ou à en percevoir les loyers si le bien est loué. S’agissant d’un portefeuille de titres, il continuera à percevoir les dividendes ou intérêts versés.


Dans l’acte de donation, le donateur pourra également prévoir une réversion d’usufruit.


Avec cette clause à son décès, l’usufruit qu’il s’est réservé profitera alors à la personne qu’il aura désignée (son conjoint le plus souvent).


Au décès du donateur, et éventuellement du bénéficiaire de la réversion d’usufruit, le donataire nu-propriétaire devient pleinement propriétaire des biens qu’il a reçus sans aucune formalité supplémentaire (aucun nouvel acte à signer) et, surtout, sans nouveaux droits à payer.


Fiscalement, l’intérêt de la donation avec réserve d’usufruit réside dans le fait que seule la nue-propriété du bien transmis est taxée. La valeur de la nue-propriété est déterminée en application d’un barème fixé par l’administration fiscale en fonction de l’âge de l’usufruitier.


Plus l’usufruitier est jeune, plus la valeur de la nue-propriété est faible et moins on paie de droits au fisc.


Ainsi, par exemple, à 51 ans révolus et jusqu’à la veille de son 61ème anniversaire, la valeur de l’usufruit est de 50%, la nue-propriété, seule taxée, est de 50%. A partir de 61 ans et jusqu’à 70 ans révolus la valeur de l’usufruit est de 40%, alors que la nue-propriété passe à 60% et ainsi de suite tous les dix ans.


En outre, les droits de donation pouvant être dus, après l’utilisation de l’abattement de 18 000 000 F CFP entre parents et enfants, sont calculés au taux de 7% (en donation-partage avant 75 ans), au lieu de 20% comme en droits de succession.


Les points de vigilance


Ce mécanisme semble donc présenter que des avantages. Quels sont alors les points sur lesquels attirer la vigilance des parties ?


« Donner et retenir ne vaut » ou plus prosaïquement « donner c’est donner » : ces adages sont là pour nous rappeler une caractéristique essentielle des donations, elles sont irrévocables. On ne peut plus changer d’avis et revenir dessus une fois signée.


Les parents usufruitiers conservent toutes les prérogatives du propriétaire, sauf une seule. Le Code civil nous l’enseigne en qualifiant l’usufruitier de celui qui agit « comme le propriétaire lui-même ». Concrètement donc, dans la vie de tous les jours et malgré la donation, tout continuera exactement comme antérieurement pour les parents et pour les enfants. Une seule chose importante est à prendre en compte : la vente du bien donné devra être signée à la fois par les parents-usufruitiers et par les enfants-nus-propriétaires. Une mésentente familiale ultérieure pourrait donc compliquer la vente des biens transmis par anticipation.


En revanche, si tout le monde est d’accord de vendre, les parents sont-ils contraints de partager le fruit de la vente avec leurs enfants ? Et bien pas tout de suite ! C’est justement l’intérêt de l’anticipation patrimoniale, votre notaire saura vous conseiller en rédigeant des clauses adaptées dans les actes de donation pour permettre aux parents de conserver le contrôle sur leur patrimoine et convenir dans la donation d’exclure la répartition immédiate du prix en cas de vente au bénéfice d’autres mécanismes plus adaptés, fiscalement et familialement, tels que la subrogation ou la constitution d’un quasi-usufruit sur le prix de vente.


Le sort du prix de vente d’un bien donné en démembrement de propriété


Lorsque l’usufruitier et le nu-propriétaire cèdent ensemble la pleine propriété de biens démembrés, trois possibilité s’offrent à eux concernant le sort du prix de vente en fonction de leurs objectifs. En effet, contrairement à une idée reçue, souvent répandue, la répartition du prix de vente entre usufruitier et nus propriétaires est l’une des options offertes aux vendeurs mais ce n’est pas la seule.


  • La répartition du prix de vente

Dans cette première hypothèse, le démembrement prend fin et le prix sera réparti par le notaire entre usufruitier et nu-propriétaire soit selon le barème fiscal de l’article Lp 264 du Code des impôts de Nouvelle-Calédonie soit en fonction d’une évaluation économique des droits démembrés (formule de calcul qui conjugue divers paramètres et qui peut aboutir à valoriser d’avantage l’usufruit).


Ainsi si l’usufruitier est âgé de 76 ans au jour de la vente et que les vendeurs s’accordent sur une répartition selon le barème fiscal, le prix reviendra pour 30% à l’usufruitier et 70% aux nus-propriétaires. L’inconvénient majeur lié à cette répartition du prix de vente est la disparition du démembrement et donc la suppression corrélative de l’intérêt fiscal lié à l’extinction naturel de l’usufruit.


  • La remise de la totalité du prix de vente à l’usufruitier

Dans cette deuxième hypothèse, il est mis en place un « quasi-usufruit », un usufruit sur une somme d’argent.


Il est plus aisé de comprendre ce que recouvre un usufruit sur un bien immobilier : l’usufruitier peut habiter dans le bien ou le mettre en location et toucher les loyers. Qu’en est-il en revanche de l’usufruit portant sur des sommes d’argent ? L’argent est un bien consomptible, c’est-à-dire qu’il disparait quand il est utilisé. Si l’usufruitier dépense tout l’argent –ce qu’il a le droit de faire, puisqu’il a le droit d’en jouir- ce sont les droits du nu-propriétaire qui sont bafoués. Si en revanche on interdisait à l’usufruitier de dépenser cet argent, ce seraient ses droits à lui qui seraient bafoués.


C’est pour cette raison que la loi prévoit que lorsqu’il porte sur une somme d’argent, l’usufruit devient quasi-usufruit. L’usufruitier peut alors dépenser l’argent mais à charge par lui de restituer la même somme au nu-propriétaire lors de son décès. En clair, le nu-propriétaire récupère gratuitement la somme d’argent sur la succession de l’usufruitier. On parle de créance de restitution. Si les comptes de l’usufruitier sont vides, cette créance de restitution permet aux héritiers de prélever gratuitement des biens mobiliers ou immobiliers à hauteur de la valeur de la somme d’argent.


Ce quasi-usufruit est légal, a priori il s’applique automatiquement sans besoin d’établir une convention par écrit. En revanche la convention de quasi-usufruit s’avère en pratique très utile, elle permet notamment de garder en mémoire, sur papier, la somme sur laquelle porte le quasi-usufruit. Fiscalement, elle sert à prouver que des droits de succession (ou de donation) ont déjà été payés sur cette somme par le nu-propriétaire et évite la double imposition au moment de la succession de l’usufruitier.


  • Le remploi dans un nouveau bien démembré

Dans cette troisième hypothèse, le démembrement perdure entre usufruitier et nu-propriétaire et est reporté sur un nouveau bien acquis en remployant les fonds issus de la vente du premier bien. La jurisprudence a sans cesse réaffirmé le caractère obligatoire d’un acte dûment enregistré pour constater ce remploi et afin de le rendre opposable au fisc.


Avec ce mécanisme, les avantages fiscaux acquis lors de la donation du premier bien se reporte sur le nouveau bien acquis grâce au prix de vente du premier.


Maître Stéphanie LAUBREAUX


L’Office Notarial Calédonien

Ajouté le 04/03/2024 à 09:49